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Lutte contre la Fraude fiscale : la sanction du tiers professionnel entre les mains de l’administration fiscale – l’exclusion des garanties offertes au complice poursuivi pénalement

Aux termes du nouvel article 1740 A bis du CGI , le tiers professionnel qui fournit intentionnellement des prestations – à compter du 25 octobre 2018 – permettant des fraudes fiscales sanctionnées par une majoration de 80 %, peut se voir infliger une amende égale à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable, dont le montant ne peut être inférieur à 10 000 €.

Cet article a été rédigé par Fabien ARAKELIAN, avocat associé au sein du cabinet ABFM Avocats, membre du Conseil de l’ordre et Camille MARTINI, avocate collaboratrice au sein du cabinet ABFM Avocats.

La création d’une sanction fiscale à l’encontre des professionnels du chiffre et du droit par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale, marque une volonté d’abandonner entre les mains de l’administration fiscale la répression du présumé tiers complice professionnel, et ce au détriment de l’article 1742 du CGI.

Non-cumul des sanctions pénale et fiscale. – Cette amende est exclue dès lors que le professionnel est poursuivi au pénal sur le fondement de l’article 1742 du CGI(CGI, art. 1740 A bis, II, al. 5). Les sanctions pénales ne se cumulent donc pas avec cette nouvelle sanction fiscale, ce qui doit bien évidemment être salué.

État des lieux comparé des sanctions encourues par le tiers professionnel exerçant son activité de conseil

Avant la loi du 23 octobre 2018 , le droit fiscal répressif ne disposait pas, contrairement au droit pénal, d’une théorie générale de la complicité. Ainsi, les personnes complices d’un contribuable condamné sur le fondement du délit de fraude fiscale pouvaient faire l’objet de poursuites et être sanctionnées en cette qualité (CGI, art. 1742 ; C. pén., art. 121-6). Ce régime faisait exclusivement appel à des notions de droit pénal classique puisque le professionnel ne pouvait faire l’objet de poursuites pénales et de sanctions éventuelles que sur le seul fondement de la complicité. Désormais, les professionnels qui proposent à leurs clients ou réalisent à leur demande des montages abusifs ou frauduleux permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales, encourent une amende.

A. – Caractérisation des manquements concernés

1° Le complice poursuivi pénalement

En matière pénale, le complice est présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été légalement établie. Sa responsabilité est envisagée par référence à l’infraction commise par l’auteur en considérant qu’il emprunte la qualification de l’auteur principal. Le système de l’emprunt de qualification exige que la participation du complice soit rattachable à un fait principal punissable, c’est-à-dire à une infraction. C’est une condition nécessaire, de telle sorte qu’il n’y a plus de complicité punissable si le fait en question n’est pas ou n’est plus punissable, par exemple si l’action publique est prescrite. Mais c’est également une condition suffisante en ce sens qu’il n’est pas nécessaire que l’auteur de l’infraction soit effectivement puni – par exemple lorsqu’il ne peut être identifié ou s’il est en fuite – pour que le complice puisse l’être. Pour être punissable, le délit de complicité suppose que le complice ait eu l’intention de participer à l’infraction commise par autrui, c’est-à-dire qu’il ait eu connaissance du fait délictueux ainsi que la volonté d’y participer.

2° Le tiers professionnel visé par l’administration fiscale

La caractérisation de la sanction fiscale infligée au professionnel exige quant à elle que les éléments suivants soient réunis :

  • un élément moral : l’intention du professionnel de permettre la fraude. L’infliction de l’amende est donc conditionnée à la preuve de l’intention du tiers professionnel de commettre la fraude fiscale (CGI, art. 1740 A bis nouveau, I, al. 1er). Précisions ici que la preuve de cette intention risque d’être difficile à apporter lorsqu’est opposable le secret professionnel, à moins que les informations ne viennent des clients dont les manquements font l’objet de poursuite ;
  • un élément matériel : la réalisation de certaines prestations et notamment la réalisation « pour le compte du contribuable [de] tout acte destiné à égarer l’administration »(CGI, art. 1740 A bis nouveau, I, al. 2, 4°). Notons qu’il s’agit indiscutablement d’une disposition « balai » et l’on peut donc regretter qu’il n’existe aucune indication légale de mesures particulières permettant de contrôler l’exercice du pouvoir de sanction de l’administration fiscale.B. – Régime procéduralC’est au stade de la procédure applicable à cette nouvelle amende fiscale que le statut du tiers professionnel au regard de celui du complice de droit commun devient très critiquable.

    1°Absence de caractère définitif du manquement

    Un accueil plus que mitigé doit d’abord être réservé à l’absence d’exigence du caractère définitif de la sanction du contribuable, préalable au prononcé de la sanction à l’égard du tiers professionnel. En effet, le professionnel complice du manquement peut être sanctionné alors même que la sanction du contribuable n’est pas devenue définitive. Cette solution est regrettable, voire largement contestable, d’autant que la condition du caractère définitif de la sanction du contribuable avait été envisagée dans le cadre des discussions parlementaires. Le législateur a finalement abandonné cette condition, considérant que le caractère dissuasif et l’efficacité du dispositif seraient remis en cause.

    Concrètement, le professionnel peut se voir infliger une sanction dès la mise en recouvrement de l’imposition et de la pénalité de la société ou de la personne physique sujette à la procédure de contrôle, sans attendre la reconnaissance du caractère définitif de la pénalité appliquée au redevable. Une réserve toutefois : dans l’hypothèse où le contribuable obtient finalement le dégrèvement ou la décharge de ses sanctions, pour un motif lié à leur bien-fondé, l’amende infligée au complice devra faire l’objet d’un dégrèvement (CGI, art. 1740 A bis nouveau, II, 4).

    La problématique réside en ce que rien dans la loi ne nous dit comment le conseil peut obtenir l’information du dégrèvement partiel ou total éventuel de la pénalité de 80 % obtenu par le redevable qui a poursuivi la contestation de la pénalité devant les juridictions administratives postérieurement à l’application de sa propre sanction. C’est la raison pour laquelle il existe une atteinte considérable au respect des droits de la défense, et notamment une atteinte à la présomption d’innocence et au droit à un procès équitable. Pour autant, aucune disposition du CGI ou du LPF ne donne une définition fiscale « autonome » de la présomption d’innocence. Aucune disposition ne renvoie davantage à l’article préliminaire du Code de procédure pénale. En réalité, le principe de la présomption d’innocence n’a pas vocation à être invoqué dans la phase précontentieuse d’un contrôle fiscal, ce principe ne pouvant l’être que dans le cadre d’une procédure contentieuse répressive.

    2° Étude comparée des garanties procédurales

    L’article L. 80 D du LPF prévoit simplement que la décision de l’administration fiscale soit motivée. La sanction ne pourra être prononcée avant l’expiration d’un délai de 30 jours à compter de la notification du document par lequel l’Administration aura fait connaître au contribuable concerné la sanction qu’elle se propose d’appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l’intéressé de présenter dans ce délai ses observations (CGI, art. 1740 A bis, II, al. 2). La seule garantie offerte au professionnel consiste donc en l’obligation de motivation à laquelle l’Administration est tenue. Aucun accès au dossier n’est prévu pour le professionnel qui peut simplement présenter des observations dans un délai de 30 jours.

Il est évident que, dès l’application de la sanction, le conseil tiers soupçonné devra s’organiser pour assurer sa propre défense, et s’il était jusqu’alors le conseil du contribuable, le conflit d’intérêts qui résultera de la nécessité d’organiser sa défense l’obligera à se déporter du dossier ; il n’aura plus accès à la procédure diligentée à l’encontre du contribuable. Il n’est pas prévu pour le conseil un droit de communication lui permettant d’obtenir les éléments de la procédure diligentée à l’encontre du contribuable et qui seraient utilisés contre lui. Cette procédure est contestable en ce que la sanction administrative du conseil tiers dépend de celle appliquée au contribuable dans le cadre de son contrôle.

À l’inverse, devant les juridictions répressives, le complice du délit de fraude fiscale a le droit à un procès équitable, et plus précisément, peut bénéficier :

  1. d’une procédure contradictoire ;

de l’information des charges retenues à son encontre, ce qui implique un accès au dossier.

S’agissant enfin des voies de recours, le nouvel article 1740 A bis, II, alinéa 3 du CGI prévoit qu’en cas de désaccord portant sur les agissements, manquements ou manœuvres du contribuable, les garanties et voies de recours qui lui sont offertes bénéficient également au complice à l’encontre duquel l’amende a été prononcée. Le simple exercice des voies de recours ne suspend pas l’exécution de la sanction fiscale. Du côté du complice poursuivi pénalement, sauf à ce qu’une exécution provisoire soit prononcée par la juridiction répressive, les voies de recours ouvertes ont un effet suspensif.

2. La conventionalité de la nouvelle sanction fiscale

A. – L’exclusion des garanties offertes au complice poursuivi pénalement

Devant les juridictions répressives, le complice du délit de fraude fiscale bénéficie des dispositions de l’article préliminaire du Code de procédure pénale ainsi que de l’article 6 de la Convention EDH.

L’on peut ainsi déplorer l’absence de garanties suffisantes ouvertes au tiers professionnel qui ne bénéficiera pas de celles offertes au complice poursuivi pénalement, et notamment :

  • un droit à la communication du dossier ;
  • la possibilité, outre le dépôt d’observations écrites, d’être entendu ;
  • le respect de la présomption d’innocence avant le déroulement d’une procédure définitive ;
  • un effet suspensif des voies de recours.

Sans aucun doute, il s’agit là d’un choix déterminé par la plus grande simplicité procédurale des sanctions administratives. L’utilisation de la sanction administrative des tiers professionnels complices permet d’éviter les difficultés inhérentes au recours au juge, tels que les délais de jugement ou l’effet suspensif de l’appel.

B. – L’article 6 de la CEDH : un angle de contestation

Quel que soit le tiers conseil contre lequel cette sanction administrative sera infligée, il est très probable qu’un débat constitutionnel et conventionnel s’engage rapidement.

Si l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale a pu justifier des atteintes aux libertés individuelles ou aux droits garanties, il n’en demeure pas moins que le texte législatif relatif à cette sanction viendra se heurter aux dispositions constitutionnelles mais également conventionnelles et en particulier avec l’article 6, § 1 de la Convention EDH (1).

En 2008, le Conseil d’État a souligné que l’invocation de l’article 6 dans le cadre d’une sanction administrative est possible « si l’absence de garantie de la phase administrative est telle qu’elle emporte des conséquences à porter atteinte de manière irréversible au caractère équitable d’une procédure ultérieurement engagée devant le juge » (2).

L’angle de contestation réside donc logiquement sur le fondement du droit à un procès équitable, tel que défini par l’article 6, § 1 de la CEDH.

C’est le juge administratif, juge de droit commun des sanctions administratives, qui devra, dans les prochains mois, s’interroger sur la conformité de cette nouvelle sanction aux principes constitutionnels et conventionnels.

Notes

(1) C. Sand, Doutes sur la constitutionnalité et la conventionalité de l’amende fiscale contre les professionnels permettant la commission de fraude fiscale : Dr. fisc. 2018, n° 46, act. 491.

(2) CE, 3e et 8e ss-sect., 26 mai 2008, n° 288583, Sté Norelec : JurisData n° 2008-081339 ; Dr. fisc. 2008, n° 28, comm. 411 , concl. F. Séners, note J.-L. Pierre ; RJF 4/08, n° 981 ; BGFE 4/08, p. 10, obs. R. Beauvais.