Blog

Atteinte aux STAD : Seul le procureur peut saisir le juge parisien sur le fondement de la compétence concurrente

Cour de cassation, crim., 20 août 2018, no 18-84.728


Mots-clés : INFORMATIQUE * Infraction informatique * Traitement de données * Atteinte à un système automatisé * Compétence concurrente * Initiative

FONDEMENT : Code de procédure pénale, art. 706-72-6

L’espèce : Dans cet arrêt, une société – ayant pour activité le conseil en systèmes et logiciels informatiques – a porté plainte et s’est constituée partie ci- vile des chefs d’accès et entrave au fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données (STAD), devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, en raison d’at- taques informatiques survenues entre mars et novembre 2017 depuis des adresses IP aux Philippines et en Chine, ainsi que d’une saturation du serveur par la simulation de milliers de paniers provenant d’une IP française de Seine-Saint-Denis (93), la plainte mettant également en cause une personne susceptible d’avoir commis les faits dénoncés domiciliée en Seine-Saint-Denis (93).

Le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a refusé d’informer sur cette plainte, aux motifs que sa compétence ne pouvait être retenue.

« Attendu que, pour écarter la compétence du juge d’instruction parisien, l’ordonnance énonce d’une part que celle-ci ne peut être retenue ni au titre du lieu de résidence de la personne soupçonnée, ni au titre du lieu de commission de l’infraction, ni au titre du lieu du siège social de la personne morale victime, s’agissant de faits susceptibles d’avoir été commis, soit depuis l’étranger, soit par une personne résidant en Seine-Saint-Denis, au siège d’une société située à Pierrefitte-sur-Seine, et d’autre part que la saisine fondée sur la compétence nationale concurrente du tribunal de grande instance de Paris pour les infractions relatives au système de traitement automatisé de données relève de la seule prérogative du procureur de la République, de sorte qu’elle ne peut être le fait de la partie civile ; […]

Attendu qu’il convient, en application de l’article 706-72-6 du code de procédure pénale, de désigner le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Bobigny pour poursuivre l’information, la compétence du tribunal de grande instance de Paris ne se justifiant pas dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice ».

Observations :

La loi no 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a en- tendu, pour l’essentiel, donner aux juges et aux procureurs de nou- veaux moyens d’investigation. Elle a également étoffé le titre XXIV du livre IV du code de procédure pénale, consacré à la procédure applicable aux atteintes aux STAD, puisqu’une compétence juridictionnelle particulière a été créée. Depuis cette loi, les juridictions parisiennes exercent ainsi une compétence concurrente des juridictions traditionnellement compétentes en matière d’atteintes aux STAD (C. pr. pén., art. 706-72 s.).

Face à la montée en puissance de cyber délinquants qui s’emparent des données personnelles détenues par les entreprises hexagonales, le parquet de Paris avait déjà renforcé ses équipes et créé, en septembre 2014, au sein de sa deuxième division, un pôle « cybercriminalité » unique en France, la Section F1. Cette compétence concurrente nationale s’inscrit donc dans un mouvement de spécialisation de la justice en matière de cybercriminalité et une logique de concentration des moyens. La spécificité des atteintes aux STAD requiert en effet une connaissance approfondie des moyens utilisés par les auteurs de ces infractions, et la nécessité subséquente d’un pôle de magistrats spécialisés.

L’arrêt commenté est l’illustration de ce que l’attribution d’une compétence concurrente nationale n’a pas pour objectif de « dé- posséder » les juridictions territorialement compétentes mais de créer une compétence supplémentaire à celles qui résultent des règles de droit commun. Les articles 706-72 et suivants du code de procédure pénale issus de la loi du 3 juin 2016 n’ont donc pas conféré de prééminence à la juridiction parisienne.

En l’espèce, aucun des critères classiques de compétence ne per- mettait la saisine du juge d’instruction parisien (lieu de l’infraction, lieu de résidence de l’une des personnes soupçonnées, lieu d’arrestation de l’une de ces personnes ou lieu de détention), ce qui a conduit la Chambre criminelle à désigner le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Bobigny pour poursuivre l’information.

On peut regretter ce dessaisissement, dans la mesure où aucune disposition n’exclut la saisine du tribunal de grande instance de Paris par la partie civile. Pour autant, la Chambre criminelle considère que « la saisine fondée sur la compétence nationale concur- rente du tribunal de grande instance de Paris pour les infractions relatives au système de traitement automatisé de données relève de la seule prérogative du procureur de la République ». Il ne peut donc pas s’agir d’une initiative de la partie civile qui se trouve alors privée de l’accès à un pôle de compétences spécialisées. La compétence concurrente nationale se justifiera ainsi seulement dans des affaires complexes ou à étendue territoriale indéterminée.

Peut-on par ailleurs imaginer que si la partie civile n’avait pas eu connaissance des réquisitions de non-informer, et n’avait donc pas été mise en mesure de formuler ses observations, la position de la Cour de cassation eut été différente ?

En réalité, la Chambre criminelle applique limitativement les dis- positions des articles 706-72 et suivants du code de procédure pénale. Ainsi, en matière d’atteintes aux STAD, le tribunal de grande instance de Paris pourra être saisi en vertu de sa compétence nationale dans deux hypothèses : lorsque le parquet du tribunal de Paris estimera que les conditions sont remplies (C. pr. pén., art. 706-72-1), ou lorsque le parquet d’un autre tribunal que Paris requerra du juge d’instruction qu’il se dessaisisse au profit du juge d’instruction parisien (art. 706-72-2).

Reste enfin la possibilité pour la Chambre criminelle qui constate que le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris n’est pas compétent, de décider que l’information sera poursuivie auprès de ce tribunal, dans l’intérêt d’une « bonne administration de la justice » (art. 706-72-6), notion qui reste à définir…

Camille Martini

Publié dans l’AJ Pénal, décembre 2018.